Kiswahili, une reconnaissance laborieuse

Bild: Muhammad Mahdi Karim. GFDL

Même s’il est l’une des langues les plus importantes d’Afrique, le kiswahili a longtemps manqué de reconnaissance officielle. Mais en 2022, il est finalement devenu l’une des langues de travail de l’Union africaine. Joseph Kafuka R. écrit sur l’importance de l’événement et le long chemin vers cette reconnaissance.

Avec plus de 100 millions de personnes en Afrique parlant cette langue, le swahili est devenu la langue africaine la plus parlée sur le continent. Mais le swahili n’a pas le nombre de locuteurs, la richesse et le pouvoir politique associés aux langues mondiales telles que le mandarin, l’anglais, le français ou l’espagnol.

Langue originaire de la côte indienne, issue d’un mélange entre l’arabe et les langues locales et parlée principalement en Tanzanie, le kiswahili a conquis tous les pays et régions voisins. Le swahil a ses locuteurs localisés et répartis dans plus de 14 pays africains : Tanzanie, Kenya, Ouganda, Rwanda, Burundi, RD Congo, Soudan du Sud, Somalie, Mozambique, Malawi, Zambie, Comores, et même Oman et le Yémen au Moyen-Orient. Des pays d’Afrique australe tels que l’Afrique du Sud et le Botswana ont introduit le swahili dans les écoles, tandis que la Namibie et d’autres envisagent de le faire prochainement.

Le swahili est déjà parlé dans diverses communautés, notamment la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC) et la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC). Le swahili est également utilisé comme langue d’enseignement dans certains pays africains dont les locuteurs sont répartis dans plus de 14 pays. Avec plus de 200 millions de locuteurs, le kiswahili fait partie des dix (10) langues les plus parlées dans le monde et il y a un regain d’intérêt pour qu’il devienne la lingua franca du continent. Tels sont les arguments qui ont convaincu l’Assemblée des chefs d’État et de gouvernement de l’Union africaine, lorsque la Tanzanie a avancé la proposition.

Cette approbation couronne plusieurs années de travail au cours desquelles l’adoption du kiswahili a été retardée pour diverses raisons. De plus, cette décision est apparue frustrante pour les locuteurs d’autres grandes langues africaines de communication, le haoussa et le peul par exemple. Ils ont fait valoir qu’au lieu d’augmenter le nombre de langues officielles, il faudrait les réduire à deux ou trois : anglais, arabe et français ; L’anglais et le français ont l’inconvénient d’être des langues de colonisation. Mais ils ont le précieux avantage d’être pratiqués par tout le monde sur le continent. Inversement, de nombreuses personnes ne comprennent pas le kiswahili.

Ainsi, le succès de l’adoption du swahili dépend de la capacité de ses promoteurs à être parfaitement conscients de la myriade de défis à venir et à rester sensibles aux divers groupes d’intérêt.

Il y a d’abord le défi des langues du colonisateur : l’anglais est la langue officielle de 27 pays et le français celle de 21 pays. Les deux sont des langues qui ont été étudiées et pratiquées depuis l’époque coloniale. Les déplacer pourrait créer des défis diplomatiques, selon les experts. Le professeur Obuchi Moseti, linguiste kiswahili à l’Université Moi de Nairobi, note que ces langues étrangères occupent une place stratégique dans la communication, la diplomatie et le commerce international. Il ne sera pas facile de les remplacer par une langue vernaculaire africaine. Le succès, souligne-t-il, dépend de la bonne volonté politique.


Bild: Ultrabobban CC BY-NC 2.0

Géographiquement, les peuples de la région nord de l’Afrique, du Grand Maghreb au Soudan en passant par l’Egypte, ont en commun l’usage de l’arabe. Quant à la partie occidentale du continent, le haoussa et le peul y sont les langues les plus répandues. Dans la région orientale, méridionale et centrale, l’influence du swahili est réelle. Et si du point de vue de l’histoire, l’arabe et le swahili partagent une certaine affinité, ce n’est pas le cas du haoussa.

Mais le plus important est d’énoncer les conditions préalables et d’identifier les obstacles dans un continent qui compte des centaines de langues tribales ou vernaculaires. Face à cette réalité et à sa complexité, certains considèrent l’instauration de langues africaines officielles (en l’occurrence le swahili) comme risquée. Cela devrait plutôt s’accompagner d’une garantie de préservation et de pérennisation detoutes les langues africaines existantes. Car les peuples africains doivent reconnaître que la plus petite langue vernaculaire contribue à la richesse linguistique du continent et qu’à ce titre elle constitue un patrimoine qu’il faut préserver.

La reconnaissance et l’élévation des langues indigènes africaines s’inscrivent dans un effort collectif pour assurer le développement, l’utilisation et l’intellectualisation de ce patrimoine culturel. Selon le professeur Yoka Lye, linguiste congolais à l’Université de Kinshasa, « le swahili est un excellent début pour la protection d’un multilinguisme inclusif qui inclut les langues autochtones et cette résolution de l’Union africaine doit être soutenue car elle aurait dû être prise il y a longtemps », a-t-il déclaré. L’UNESCO a même adopté la date du 7 juillet de chaque année comme Journée mondiale de la langue kiswahili.

En effet, pendant des années, les dirigeants africains ont fait pression pour que l’Union africaine adopte le swahili comme langue panafricaine. Car, l’Afrique reste le seul continent où la majorité des enfants commencent l’école en utilisant une langue étrangère comme l’arabe, l’anglais, le français, le portugais ou l’espagnol, qui sont le seul moyen d’obtenir une promotion socio-économique.

Le swahili est la langue africaine la plus reconnue en dehors du continent. Sa présence mondiale dans les émissions de radio-TV et sur Internet n’a pas d’égal parmi les langues d’Afrique subsaharienne. Sur la scène internationale, aucune autre langue africaine ne peut être entendue aussi largement dans les médias d’information. Des mots et des phrases en swahili ont été entendus dans des centaines de films et de séries télévisées, tels que Star Trek, Out of Africa, Le Roi Lion de Disney qui comprenait plusieurs mots en swahili, dont les plus connus sont les noms des personnages : Simba (lion), Rafiki (ami), des expressions en swahili dont « Asante sana » (merci beaucoup) ou cette fameuse phrase dite de « Hakuna matata » (pas de problème) répétée tout au long d’un film.

Actuellement, la radiodiffusion est un moyen de diffuser la langue. Il est utilisé par les gouvernements, les églises, les organisations non gouvernementales ou les associations. Auparavant, la presse écrite et la bande dessinée avaient investi le public dans l’utilisation du swahili, contribuant à son expansion. Aujourd’hui, c’est Internet qui tente d’accentuer cette dispersion, alors que les langues coloniales restent puissantes et dominantes. Pour que le swahili devienne véritablement panafricain, il faudra plus d’efforts d’une volonté politique claire, d’investissements socio-économiques pour atteindre toutes les régions. Un pari qui, compte tenu de la situation actuelle, est loin d’être gagné.

Joseph R. Kafuka • 2023-02-23
Joseph R. Kafuka är en journalist från Kongo-Kinshasa, där han grundade ett nätverk av journalister mot korruption (REJAC). I Sverige är han konsult vid "Female Film festival" i Malmö och medlem i föreningen för franska lärare.


Kiswahili, une reconnaissance laborieuse

Bild: Muhammad Mahdi Karim. GFDL

Même s’il est l’une des langues les plus importantes d’Afrique, le kiswahili a longtemps manqué de reconnaissance officielle. Mais en 2022, il est finalement devenu l’une des langues de travail de l’Union africaine. Joseph Kafuka R. écrit sur l’importance de l’événement et le long chemin vers cette reconnaissance.

Avec plus de 100 millions de personnes en Afrique parlant cette langue, le swahili est devenu la langue africaine la plus parlée sur le continent. Mais le swahili n’a pas le nombre de locuteurs, la richesse et le pouvoir politique associés aux langues mondiales telles que le mandarin, l’anglais, le français ou l’espagnol.

Langue originaire de la côte indienne, issue d’un mélange entre l’arabe et les langues locales et parlée principalement en Tanzanie, le kiswahili a conquis tous les pays et régions voisins. Le swahil a ses locuteurs localisés et répartis dans plus de 14 pays africains : Tanzanie, Kenya, Ouganda, Rwanda, Burundi, RD Congo, Soudan du Sud, Somalie, Mozambique, Malawi, Zambie, Comores, et même Oman et le Yémen au Moyen-Orient. Des pays d’Afrique australe tels que l’Afrique du Sud et le Botswana ont introduit le swahili dans les écoles, tandis que la Namibie et d’autres envisagent de le faire prochainement.

Le swahili est déjà parlé dans diverses communautés, notamment la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC) et la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC). Le swahili est également utilisé comme langue d’enseignement dans certains pays africains dont les locuteurs sont répartis dans plus de 14 pays. Avec plus de 200 millions de locuteurs, le kiswahili fait partie des dix (10) langues les plus parlées dans le monde et il y a un regain d’intérêt pour qu’il devienne la lingua franca du continent. Tels sont les arguments qui ont convaincu l’Assemblée des chefs d’État et de gouvernement de l’Union africaine, lorsque la Tanzanie a avancé la proposition.

Cette approbation couronne plusieurs années de travail au cours desquelles l’adoption du kiswahili a été retardée pour diverses raisons. De plus, cette décision est apparue frustrante pour les locuteurs d’autres grandes langues africaines de communication, le haoussa et le peul par exemple. Ils ont fait valoir qu’au lieu d’augmenter le nombre de langues officielles, il faudrait les réduire à deux ou trois : anglais, arabe et français ; L’anglais et le français ont l’inconvénient d’être des langues de colonisation. Mais ils ont le précieux avantage d’être pratiqués par tout le monde sur le continent. Inversement, de nombreuses personnes ne comprennent pas le kiswahili.

Ainsi, le succès de l’adoption du swahili dépend de la capacité de ses promoteurs à être parfaitement conscients de la myriade de défis à venir et à rester sensibles aux divers groupes d’intérêt.

Il y a d’abord le défi des langues du colonisateur : l’anglais est la langue officielle de 27 pays et le français celle de 21 pays. Les deux sont des langues qui ont été étudiées et pratiquées depuis l’époque coloniale. Les déplacer pourrait créer des défis diplomatiques, selon les experts. Le professeur Obuchi Moseti, linguiste kiswahili à l’Université Moi de Nairobi, note que ces langues étrangères occupent une place stratégique dans la communication, la diplomatie et le commerce international. Il ne sera pas facile de les remplacer par une langue vernaculaire africaine. Le succès, souligne-t-il, dépend de la bonne volonté politique.


Bild: Ultrabobban CC BY-NC 2.0

Géographiquement, les peuples de la région nord de l’Afrique, du Grand Maghreb au Soudan en passant par l’Egypte, ont en commun l’usage de l’arabe. Quant à la partie occidentale du continent, le haoussa et le peul y sont les langues les plus répandues. Dans la région orientale, méridionale et centrale, l’influence du swahili est réelle. Et si du point de vue de l’histoire, l’arabe et le swahili partagent une certaine affinité, ce n’est pas le cas du haoussa.

Mais le plus important est d’énoncer les conditions préalables et d’identifier les obstacles dans un continent qui compte des centaines de langues tribales ou vernaculaires. Face à cette réalité et à sa complexité, certains considèrent l’instauration de langues africaines officielles (en l’occurrence le swahili) comme risquée. Cela devrait plutôt s’accompagner d’une garantie de préservation et de pérennisation detoutes les langues africaines existantes. Car les peuples africains doivent reconnaître que la plus petite langue vernaculaire contribue à la richesse linguistique du continent et qu’à ce titre elle constitue un patrimoine qu’il faut préserver.

La reconnaissance et l’élévation des langues indigènes africaines s’inscrivent dans un effort collectif pour assurer le développement, l’utilisation et l’intellectualisation de ce patrimoine culturel. Selon le professeur Yoka Lye, linguiste congolais à l’Université de Kinshasa, « le swahili est un excellent début pour la protection d’un multilinguisme inclusif qui inclut les langues autochtones et cette résolution de l’Union africaine doit être soutenue car elle aurait dû être prise il y a longtemps », a-t-il déclaré. L’UNESCO a même adopté la date du 7 juillet de chaque année comme Journée mondiale de la langue kiswahili.

En effet, pendant des années, les dirigeants africains ont fait pression pour que l’Union africaine adopte le swahili comme langue panafricaine. Car, l’Afrique reste le seul continent où la majorité des enfants commencent l’école en utilisant une langue étrangère comme l’arabe, l’anglais, le français, le portugais ou l’espagnol, qui sont le seul moyen d’obtenir une promotion socio-économique.

Le swahili est la langue africaine la plus reconnue en dehors du continent. Sa présence mondiale dans les émissions de radio-TV et sur Internet n’a pas d’égal parmi les langues d’Afrique subsaharienne. Sur la scène internationale, aucune autre langue africaine ne peut être entendue aussi largement dans les médias d’information. Des mots et des phrases en swahili ont été entendus dans des centaines de films et de séries télévisées, tels que Star Trek, Out of Africa, Le Roi Lion de Disney qui comprenait plusieurs mots en swahili, dont les plus connus sont les noms des personnages : Simba (lion), Rafiki (ami), des expressions en swahili dont « Asante sana » (merci beaucoup) ou cette fameuse phrase dite de « Hakuna matata » (pas de problème) répétée tout au long d’un film.

Actuellement, la radiodiffusion est un moyen de diffuser la langue. Il est utilisé par les gouvernements, les églises, les organisations non gouvernementales ou les associations. Auparavant, la presse écrite et la bande dessinée avaient investi le public dans l’utilisation du swahili, contribuant à son expansion. Aujourd’hui, c’est Internet qui tente d’accentuer cette dispersion, alors que les langues coloniales restent puissantes et dominantes. Pour que le swahili devienne véritablement panafricain, il faudra plus d’efforts d’une volonté politique claire, d’investissements socio-économiques pour atteindre toutes les régions. Un pari qui, compte tenu de la situation actuelle, est loin d’être gagné.

Joseph R. Kafuka • 2023-02-23
Joseph R. Kafuka är en journalist från Kongo-Kinshasa, där han grundade ett nätverk av journalister mot korruption (REJAC). I Sverige är han konsult vid "Female Film festival" i Malmö och medlem i föreningen för franska lärare.